Quantcast
Channel: Parlement(s) de Paris et d'ailleurs (XIIIe-XVIIIe s.) » Le Paige
Viewing all articles
Browse latest Browse all 3

Une magistrature “contrefort” de la monarchie absolue

$
0
0

Au Congrès annuel de l’AFHIP d’Aix-en-Provence, en septembre dernier, Isabelle Brancourt m’a fait part de sa recherche la plus récente, à paraître bientôt, et m’a donné à lire les pages qui lui semblaient rejoindre mes propres travaux. Il y était question de la place de la « constitution » et de la loi dans les débats difficiles entre le roi et le Parlement des dernières années de l’Ancien Régime français. L’une de ses remarques m’a rappelé directement un passage de mon livre,  L’ideologia dei robins nella Francia dei Lumi[1], qui n’est pas encore traduit en français.

La phrase d’Isabelle Brancourt qui a retenue particulièrement mon attention est la suivante :

« Plus “royaliste” que le roi », écrit-elle, « la haute magistrature des parlements de France l’avait été contre les féodaux, contre la juridiction ecclésiastique, contre les justices seigneuriales, contre le pouvoir pontifical… Elle avait magnifié l’indépendance de l’autorité royale toutes les fois qu’elle semblait menacée et spécialement au moment crucial de l’élévation d’Henri IV sur le trône ».

Pour cela, Isabelle Brancourt avance l’hypothèse de ce qu’elle appelle « le pacte historique de 1593 » entre le Parlement et le roi Bourbon, un « pacte » dont elle affirme que les magistrats du XVIIIe siècle gardent très précisément le souvenir, y faisant directement allusion à l’occasion (par exemple en décembre 1770).

Or, p. 141-142 de mon livre, j’ai justement développé cette question : la formation de l’Etat me paraît en stricte corrélation avec le renforcement du cadre juridique. Les juristes se considéraient, et se sont considérés ainsi jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, comme les artisans de la construction étatique, comme la force sans laquelle il n’eut pas été possible de passer d’un roi féodal à un roi « souverain ». Plusieurs citations viennent à propos étayer ce jugement.

La première du président de Revol, qui affirme que les hommes de robe :

« ne travaillèrent qu’à la réunion dans la main du Roy [de] tout le pouvoir que la révolution féodale (sic) lui permettoit encore. Ils sentoient qu’en éludant et sapant peu à peu par cette conduite la multitude des petits tyrans nés par la pusillanimité des descendants de Charlemagne, ils travailloient autant pour le bonheur général de la nation que pour les véritables intérests du Prince. Ils se forma donc parmy les juges associés aux pairs, et même avant leur fixation dans la capitale, un esprit d’attachement à la Maison regnante ainsy qu’aux maximes les plus favorables à l’autorité souveraine et à la police générale de l’Etat »[2].

Au début du règne de Louis XVI, un anonyme, proche de Le Paige et de son groupe, écrivait encore :

« Les Parlemens ont toujours été les plus fermes appuis du trône[…] C’est par eux principalement que l’autorité royale a peu-à-peu recouvré la plénitude de ses droits. Ils ont successivement abattu tout autre pouvoir que celui du monarque ; ils ont tout ramené à l’unité essentielle du gouvernement monarchique. Mais après s’être servi des Parlemens pour se bien affermir, l’autorité royale ne voyant plus en eux que des surveillants incommodes, des censeurs importuns, a cherché à s’en délivrer… »[3].

Le Paige enfin affirme encore :

« Les Parlements armés de cette doctrine [de la souveraineté] ont détruit toutes les autorités qui avoient pu s’élever au préjudice de l’autorité du roi. Heureux s’ils n’avoient pas confondu la puissance spirituelle établie de Dieu et qui est celle de Jésus-Christ, avec toutes les autres autorités qui n’avoient pas d’autres titres que l’usurpation de celle du roi… »[4].

Les mots parlent d’eux-mêmes et justifient pleinement, selon moi, la réflexion d’Isabelle Storez Brancourt.


[1] Francesco Di Donato, L’ideologia dei robins nella Francia dei Lumi. Costituzionalismo e assolutismo nell’esperienza politico-istituzionale della magistratura di antico regime (1715-1788), vol. I, Editions Scientifiques Italiennes, Naples 2003, 888 pp. N.B. Cet ouvrage est un “livre-jalon” qui rend compte de 15 années de travail dans les archives du Parlement et surtout de Le Paige. Il a été l’objet de ce qui est, en Italie, l’équivalent de l’Habilitation à diriger des recherche.

[2] Ibid. p. 141. BPR, LP 42, c. 570 (12), «Observations relatives à la première partie des Lettres sur l’origine du Parlement», par de Revol, 1 janv. 1754.

[3] Ibid, p. 141-142. BPR, LP 534=35, c. 10.

[4] Ibid, p. 142. BPR, LP 580-ter=206.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 3

Latest Images

Trending Articles





Latest Images